Dans le vignoble français, les terroirs ne sont pas seulement climatiques, pédologiques ou techniques : ils sont aussi juridiques. Ainsi, la Champagne pratique le métayage franc : « c’est un métayage comme un autre, seulement le propriétaire ne prend pas part à l’exploitation, il met à disposition des vignes et n’en tire pas un loyer fixe, mais une part, le tiers ou le quart, selon la récolte, en espèces ou en raisin » résume Maxime Toubart, le président du Syndicat Général des Vignerons de Champagne (SGV). Loin d’être marginal, ce dispositif concerne plus du tiers des surfaces et des vignerons propriétaires en AOC Champagne (totalisant 34 200 hectares et 16 300 vignerons).
D’où le frémissement quand la Mutualité Sociale Agricole de la Marne (MSA 51) change en 2025 la donne, en voulant qualifier d’actifs agricoles les bailleurs à métayage su plus de 75 ares , leur faire payer la cotisation MSA et, au final, « rendre incompatible le statut de bailleur à métayage et le statut de retraité » s’alarme le SGV, qui « propose de conserver la doctrine en vigueur depuis 70 ans, consistant à maintenir le bailleur à métayage en dehors du champ de la protection sociale agricole en considérant qu’il n’est pas occupé sur l’exploitation ».
Mobilisations juridiques et politiques
« On conteste cette nouvelle lecture, ce ne sont pas des actifs » indique Pascal Bobillier Monnot, le directeur adjoint du SGV, qui explique que « pour être actif agricole, encore faut-il participer aux décisions et à la gestion de l’entreprise. Ce n’est pas le cas ici. » Ayant l’ambition de maintenir le régime actuel, cumulant retraite et métayage franc, le SGV n’y voit pas un détail, comme le dispositif concerne 4 855 personnes : « l’incertitude n’est pas bonne pour ceux qui arrivent à la retraite. Il faut clarifier les choses très vite » souligne Maxime Toubart, qui a directement porté ce message à la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, lors de ses deux visites estivales en Champagne.
Règles en équité à l’ensemble du territoire
Contactée, la caisse centrale de la MSA indique avoir « pu rappeler récemment à l’ensemble des caisses de MSA, et ce à la demande du ministère de l’Agriculture, les éléments du dispositif inchangé depuis des années. La profession en a été également informée et les caisses, qui pourraient nécessiter un accompagnement dans la mise en ?uvre, le seront par la caisse centrale qui a désormais en visibilité les pratiques locales différentes identifiées sur certains territoires, et pour lesquelles elle est en lien avec le ministère pour les suites à donner, y compris en cas d’évolution du cadre juridique applicable ».
Attendant un éclaircissement réglementaire rapide préservant le modèle du métayage franc, on espère dans le vignoble champenois que la MSA accordera a minima une clause du grand-père permettant de cumuler bail à métayage et retraites pour les propriétaires en bénéficiant. Mais la caisse centrale élude la question sur ce sujet précis : « les règles sont celles de l’ensemble des baux à métayage sans distinction de filière ou de région, et s’appliquent en équité à l’ensemble du territoire ». De quoi bousculer des équilibres et des vies en Champagne si rien n’est aménagé.
Plaidoyer pour le métayage franc
Concrètement, le recours au bail à métayage champenois présente un avantage supplémentaire : le régime fiscal du micro-bénéfice agricole (le micro-BA), soit un abattement de 87 % si le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas 120 000 € sur trois ans (soit 10 000 €/mois en moyenne). « Ça a toujours marché comme ça en Champagne : il y a peu de fermages, moins intéressants du point de vue des revenus, mais souvent du métayage au tiers et parfois au quart. On est attaché à notre tiers de raisin » témoigne Jean Launois, viticulteur retraité de la Côtes des Blancs (Marne) qui possède encore 4 ha de baux à métayage, transmettant progressivement ses vignes en nue-propriété à son fils, qui a repris l’exploitation. « En Champagne on loue à ses enfants. Et l’intérêt des baux, comme des fermages, est d’ouvrir des exonérations de droits de mutation » pointe Jean Launois, qui défend le maintien du système actuel pour que les propriétaires viticoles aient le choix de leurs modalités de location. L’option pouvant être de perdre la retraite agricole en optant pour le métayage, plus rentable avec le micro-BA, ou de conserver la retraite, avec une plus forte imposition sur le fermage.
Si la loi est mauvaise, il faut qu’on la change
« Pour une personne qui n’a pas beaucoup de vignes, le micro-BA laisse plus d’argent que le fermage. Ne pas y avoir accès ferait descendre les revenus, obligeant peut-être certains à vendre leurs vignes. Le capital est gros en Champagne, mais pas forcément en corrélation avec les revenus. Tout le monde n’est pas riche à millions ! » s’exclame Jean Launois, qui devrait bénéficier de la clause du grand-père et ne pas être concerné par l’évolution des règles de la MSA. « On veut rester au micro-BA et que ceux qui arrivent en retraite l’an prochain puisse louer leurs vignes en métayage. C’est inadmissible, on nous vend la retraite comme une Mercedes, et à la fin on n’a qu’une roue de secours ! » lance le viticulteur, qui précise qu’en Champagne on n’a pas à se plaindre, « on a la chance d’avoir un vignoble bien géré », mais on n'a pas à se laisser faire : « la MSA dit que c’est une loi, mais si la loi est mauvaise, il faut qu’on la change. D’autres corps de métiers, comme les artisans et commerçants, peuvent cumuler retraite et travail. Pourquoi pas nous ? »
Pourquoi, et pourquoi maintenant ?
D’autres questions résonnent : « pourquoi cette remise en cause ? L’administration centrale de la MSA dit que c’est une mise en conformité avec la loi, mais pourquoi est-ce un sujet maintenant ? Pour essayer de gagner de l’argent avec les retraités et voir ce qui tombe ? » s’exclame Maxime Toubart, qui mobilise le SGV pour que « la MSA et le législateur nous permettent de continuer à faire comme jusqu’à maintenant ». Sinon, les propriétaires retraité font devoir trancher. « Cela amènerait les retraités à faire un choix entre une petite retraite et les revenus du bail à métayage » résume Pascal Bobillier Monnot, ce qui serait contraire pour lui au principe du renouvellement des générations porté par les pouvoirs publics : « au lieu de se séparer progressivement de leurs vignes, ils vont continuer à les garder le plus longtemps possible ».
Législativement, les prochains textes budgétaires pourraient permettre d’acter qu’un bailleur à métayage n’est pas un actif agricole (ce qui acterait sa désaffiliation de la MSA) ou prévoir une exception au cumul emploi retraite (pour le métayage franc). Les incertitudes politiques et gouvernementales actuelles n’aident cependant pas, car même en cas d'amendement adopté en ce sens (qu'il soit gouvernemental ou parlementaire), la possibilité d'un recours à l'article 49.3 de la Constitution ferait tomber les ajouts au texte initial. De quoi créer de l'incertitude et demander pour le SGV un report de toute évolution au premier janvier 2027. Dans le vignoble français, les terroirs ne sont pas seulement historiques ou économiques, ils peuvent aussi être politiques.