Clarification d’avril. Bercy veut réparer un loupé de taille : une rédaction du budget 2025 en Commission Mixte Paritaire excluant soudain les baux signés avant le premier janvier 2025 de l’application d’un pacte Dutreil aux transmissions familiales de vignes travaillé depuis des mois. Une borne temporelle qui bloque les transmissions dans le vignoble, y crée une rupture d’égalité et y alimente l’incertitude juridique : bref, tout le contraire de l’esprit de la loi obtenue de longue lutte... Dans un communiqué publié ce premier avril, le gouvernement annonce précisément que « le bénéfice du dispositif adopté en loi de finances pour 2025 qui porte à 20 millions d’euros le seuil d’exonération de 75 % de droits de mutation à titre gratuit (DMTG) de biens ruraux donnés à bail rural à long terme est étendu à toutes les transmissions à titre gratuit intervenant, à compter du 15 février 2025, y compris lorsque le bail a été conclu avant le 1er janvier 2025. »
En clôture du Congrès de la FNSEA à Grenoble ce 27 mars, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, avait annoncé que « l’abattement fiscal de 75 % applicable aux transmissions de foncier agricole sous bail long terme s’appliquera immédiatement, y compris pour les baux conclus avant 2025 ». Mais pour se concrétiser, l’annonce doit faire « l’objet d’une traduction législative dans le prochain projet de loi de finances » précise le communiqué de Bercy. Ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin y indique qu’« il est essentiel que ces mesures entrent en vigueur sans délai, pour préserver nos territoires, notre indépendance et notre souveraineté agricole. » Annie Genevard, y déclare qu’« en facilitant la transmission des exploitations agricoles, nous offrons aux jeunes générations la possibilité de s’installer et de se développer pour pérenniser notre modèle agricole. »
L’esprit d’une loi faite pour favoriser la transmission familiale
Cette annonce gouvernementale est une excellente nouvelle salue Thiébault Huber, le président de la Confédération des Appellations et des Vignerons de Bourgogne (CAVB), où il porte depuis 2018 le sujet face à la spéculation foncière et aux familles ne pouvant transmettre (ou étant confrontées à un redressement fiscal). Avec cette apparition de la date du premier janvier 2025 pour les baux ruraux, « on avait la drôle de sensation de s’être fait avoir lors de la CMP qui avait changé l’esprit d’une loi faite pour favoriser la transmission familiale. Cet engagement ministériel reste une promesse, mais on va croire que ça va aller jusqu’au bout » indique le trésorier de la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC).
Concrètement, cette clarification doit débloquer les transmissions familiales qui étaient dans l’incertitude. Pour bénéficier du dispositif, « il aurait fallu repartir sur de nouveaux baux, avec le risque d’optimisation fiscale » pointe Thiébault Huber, notant qu’un bail ne pouvant être transmis dans les deux années suivant sa signature, il y aurait eu un décalage jusqu’à 2027 de la mise en ?uvre de l’outil fiscal. D’autant plus que des baux de 25 ans pour tenir la durée d’une carrière se multiplient dans le vignoble bourguignon indique le vigneron de Meursault (Côte d’Or). Qui se prépare déjà à être vigilant quand arrivera le projet de loi de finances pour 2026 devant les parlementaires en octobre prochain. « Le gouvernement s’engage à faire appliquer la loi comme elle a été votée » réagit le sénateur François Patriat (Côte d’Or, groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants), à l’origine de l’amendement ayant poussé les seuils à 20 millions € (et à l’époque la conservation à 15 ans). « C’était une coquille, elle a été réparée. L’exonération peut être appliquée à partir du 15 février en tenant compte des baux antérieurs. Tout sera régularisé dans la loi de finances pour 2026 » note le sénateur de Dijon.
Il y aura réatroactivité
Comptant également parmi les parlementaires mobilisés, le député Benjamin Dirx (Saône-et-Loire, Ensemble Pour la République) confirme qu’il faudra un texte financier lors de la prochaine loi de finance, « avec un effet rétroactif », et qu’en l’état l’annonce des ministres est « de nature à rassurer l’ensemble des acteurs : il y aura réatroactivité ». Pour le député de Mâcon, cet engagement prend « encore plus de force au moment où les taxes Trump vont arriver [NDLR : une annonce étant attendue ce 2 avril], ce qui montre un réel soutien du gouvernement et des parlementaires à notre viticulture, fer de lance national. » Rappelant l’exemple du vignoble familial de 1,3 hectare de Corton grand cru et de Romanée-Saint-Vivant vendu 15 millions d’euros à Bernard Arnault à cause des droits de succession, le député ne voit « pas qui à l’Assemblée nationale irait contre ».
Cette promesse reste suspendue à l’avenir du gouvernement actuel, le couac de la CMP de janvier 2025 découlant de la censure du gouvernement en décembre 2024 et le retour à zéro du texte (finalement adopté par 49.3). S’étant mobilisée pour rectifier le tir, la CNAOC faisait de ce dossier son dossier prioritaire, notamment lors du dernier salon de l’Agriculture. Alerté sur ce loupé, le premier ministre François Bayrou avait déclaré « regarder le dossier avec attention, car c’est un détournement du texte initial voté par les parlementaires et soutenu par le gouvernement ». Pour aboutir au "new deal fiscal" demandé par la CNAOC depuis des années, il reste à régler ce problème d’antériorité.