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Dimanche 28 mai 2023

La SAFER n?évitera pas le procès de sa vente contestée d?un grand cru classé à 75 millions €


Revers pour la SAFER, le tribunal de Libourne rejette ses demandes d?irrecevabilité sur la capacité d?un acheteur éconduit à contester une rétrocession par substitution d?un domaine viticole. Dans ce dossier, la famille Cuvelier demande à redevenir l?acquéreur du château Beauséjour Héritiers Duffau-Lagarosse, emporté par le groupe Clarins.

La SAFER n’évitera pas le procès de sa vente contestée d’un grand cru classé à 75 millions €

C’est une vente qui ne passe pas crème, fut-elle un soin du visage de Clarins... Ce jeudi 25 mai, le tribunal judiciaire de Libourne juge qu’il y aura bien un procès pour la cession du château Beauséjour Héritiers Duffau-Lagarosse (6,75 hectares de premier grand cru classé B de Saint-Émilion) décidée le 7 avril 2021 par le conseil d’administration de la Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural (SAFER) et signée le 12 avril 2021 au bénéfice de la famille Courtin (à la tête des cosmétiques Clarins, dont c’est le premier projet viticole) avec comme gérante l’ingénieure agronome et ?nologue Joséphine Duffau-Lagarrosse (la fille de l’ancien co-gérant, Vincent Duffau Lagarosse).

Une décision contestée en justice par l’acheteur éconduit par la SAFER qu’est la famille Cuvelier, déjà bien implantée sur la rive droite avec quatre crus classés de Saint-Émilion (les clos Fourtet et Saint Martin, les châteaux les Grandes Murailles et côte de Baleau). Représentée dans la cause par la Compagnie de Villemetrie (présidée par Philippe Cuvelier) et Gégoire Pernot du Breuil (directeur d’exploitation des vignobles Nicolas Thienpont), la famille Cuvelier s’accroche d’autant plus à ce dossier qu’elle avait était désignée comme acheteuse le 14 novembre 2020 par les propriétaires du château Beauséjour Héritiers Duffau-Lagarosse pour rachat par décision. Du moins sous réserve de l’intervention de la SAFER.

11 millions €/ha

Après les signatures en mars 2021 de la promesse de vente entre le château Beauséjour Héritiers Duffau-Lagarosse et la SAFER pour 68 millions € hors stock (« outre un complément de prix selon la position de la propriété au sein du prochain classement de Saint-Émilion », qui a confirmé la propriété et gonflé la vente à 75 millions €) et de la promesse d’achat de la SAFER avec Compagnie de Villemetrie, deux offres concurrentes ont été reçues. L’une de Stéphanie de Boüard (par ailleurs PDG du château Angélus, à l’époque grand cru classé A de Saint-Émilion) et l’autre de la famille Courtin (avec Joséphine Duffau Lagarosse). Ayant fait jaser dès le comité technique, la décision prise le 7 avril 2021 par le conseil d’administration Safer a écarté la famille Cuvelier pour désigner les Courtin comme acquéreurs, via une rétrocession par substitution. Une décision que l’acheteur écarté conteste, demandant l’annulation de la vente.

Le contrôle échappe au juge

Cette attaque des Cuvelier va pouvoir prospérer devant le tribunal judiciaire de Libourne, sa vice-présidente Valérie Bourzai, rejetant les quatre demandes d’irrecevabilité soulevées comme incidents lors de la mise en l’état par la SAFER et l’acheteur (famille Courtin et Joséphine Duffau-Lagarrosse). Se déclinant sur trois moyens différents, l’un des principaux arguments d’irrecevabilité* était le défaut d’intérêt et de qualité à agir pour la famille Cuvelier sur la décision du 7 avril et la vente du 12 avril. Estimant n’avoir aucun compte à rendre dans ses conclusions, la Safer estime que « le contrôle de l’opportunité de la décision de rétrocession de la SAFER échappe au juge judiciaire » car le « contrôle de la légalité de rétrocession s’opère toujours sur la seule motivation de la décision de rétrocession notifiée au candidat évincé, telle que portée à sa connaissance par le courrier qui lui est adressé ». De même « la décision d’attribution du 7 avril 2021 n’ouvre aucun droit à contestation par les candidats [mais] le contrôle juridictionnel des décisions de rétrocessions s’opère [sur] le respect des formes et des délais dans le cadre du processus et sur le fond, à savoir sur la légalité de la décision c’est-à-dire sa conformité avec l’objectif légale avancé. »

Estimant que la SAFER ne peut se défaire aussi facilement d’un contrôle judiciaire inité par un acheteur recalé, le tribunal de Libourne rappelle dans sa décision que si la « Safer est une société privée, elle exerce une mission de service public dans l’intérêt général : la régularité de ses décisions est soumise au contrôle du juge judiciaire, qui porte sur les différentes étapes du processus décisionnel ». S’appuyant sur la note en référé de la SAFER, la juridiction note que « saisi d’un éventuel litige sur la légalité de la décision de rétrocession, le tribunal devra analyser la motivation de la décision de rétrocession à la date à laquelle elle a été prise, soit le 7 avril 2021 ». D’où la décision du tribunal : « la décision du 7 avril 2021 était donc bien critiquable par les demandeurs, ayant la qualité de candidats évincés et leur action ne peut être déclarée irrecevable pour défaut de qualité et d’intérêt à agir. »

À suivre

Ce jugement sur un incident de mise en état ne préjuge évidemment pas de la future décision de la juridiction sur la vente elle-même**. D’autant plus qu’un appel est possible, ce qui alimenterait la rude concurrence pour acquérir un cru classé de Saint-Émilion. Et c’est la SAFER qui le dit dans son dernier rapport sur les prix du marché foncier agricole en 2022 : « la compétition pour accéder aux meilleurs terroirs reste très intense et les prix peuvent atteindre 3 800 000 euros/ha hors classement et dépasser les 5 000 000 euros/ha en cas de vente de propriétés classées de bonne renommée ». Des prix affolants : et ce sans même prendre en compte les frais judiciaires qui s’annoncent conséquents pour cette nouvelle saga judiciaire à l’ombre du classement de Saint-Émilion (habitué aux procès à rallonge).

 

* : Parmi les autres moyens se trouvaient un défaut de publication de l’assignation auprès de la Conservation des Hypothèques (rejeté comme il y a eu publication pour demander la nullité de l’acte notarié) et une prescription (l’affichage en mairie faisant courir le délai de recours d’un tiers, l’affichage du 10 mai fait que les assignations délivrées les 24 septembre et 3 novembre rentrent bien dans le délai de 6 mois de possibilité d’un recours).

 

** : Dans son jugement, le tribunal reconnaît que l’intervention des SAFER repose sur des « prérogatives exorbitantes du droit commun, qui lui permettent de sélectionner le candidat de son choix et de l’imposer au vendeur visent à parvenir à l’objectif d’accomplissement d’une mission de service public dans l’intérêt général ». Et si la juridiction souligne qu’« en tant que candidats évincés ont intérêt à agir pour contester l’acte de vente. Le point de savoir si la décision d’attribution est ou non conforme à l’intérêt général est soumis à l’appréciation du tribunal » qui se penchera sur le fond.