La persévérance finit par payer. Portée depuis des années par la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC, voir encadré), la proposition d’augmenter de le plafond d’exonération à 75 % de la transmission à titre gratuit de biens ruraux loués par bail à long terme vient d’être adopté ce vendredi 14 octobre par l’Assemblée Nationale lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023. Soutenus par la commission des finances et le gouvernement, deux amendements font passer de 300 à 500 000 euros le plafond dans le cadre d’un engagement à conserver le bien 10 ans (au lieu de 5 ans actuellement). Au-delà de ce plafond, l’abattement est de 50 %.
« La transmission des terres agricoles est un sujet important, surtout dans le domaine viticole, car les domaines peuvent atteindre des valeurs très élevées » explique, en séance, le député bourguignon Benjamin Dirx (Saône-et-Loire, Renaissance). Voyant son amendement adopté, le député de la majorité rappelle d’ailleurs que « pendant le précédent quinquennat, nous avons déjà porté de 100 000 à 300 000 euros le plafond du montant auquel s’applique le taux d’exonération de 75 % ». Avec un plafond à 500 000 €, « cela représenterait une avancée importante en matière de transmission » défend le député du Sud-Ouest Jean-Paul Mattei (Pyrénées-Atlantiques, Mouvement Démocrate), dont l’amendement est adopté et qui note que l’Assemblée a « beaucoup parlé des terres agricoles ce soir ; la question de leur transmission est importante, notamment sa fiscalisation ».
Stabilité du foncier
Si la commission des finances et le gouvernement ont soutenu les amendements de la majorité (en retirant celui de l’exécutif), ce sujet semble avoir fait consensus dans les travées de l’Assemblée Nationale. « Dans certaines régions, les transmissions sont impossibles parce que le foncier coûte trop cher ; les familles, souvent des exploitants de longue durée, se trouvent empêchées pour des motifs financiers. Cet amendement vise donc à favoriser la stabilité des exploitations agricoles et viticoles » indique la députée languedocienne Emmanuelle Ménard (Hérault, non-inscrite). « La stabilité du foncier attaché aux exploitations viticoles est indispensable à leur pérennité » opine la députée provençale Laure Lavalette (Var, Rassemblement National), qui portait un amendement doublant le plafond (à 600 000 €). « Nos collègues ont évoqué les exploitations viticoles, mais elles ne sont pas seules en cause : dans les espaces de grandes cultures, les exploitations sont de plus en plus vastes et leur valeur de plus en plus grande. Il est important d’apporter de la stabilité et de faciliter la transmission des exploitations agricoles » ajoute la députée normande Véronique Louwagie (Orne, Les Républicains).
Rapporteur de la commission des finances, le député du Sud-Ouest Jean-René Cazeneuve (Gers, Renaissance) note que s’« il est vrai que le plafond a déjà été porté à 300 000 euros il n’y a pas si longtemps […] en réalité, il a été fixé à 100 000 euros il y a quarante ans. L’augmentation n’était donc pas suffisante pour prendre en compte la montée des prix, et la limite de 500 000 euros me paraît bienvenue. » Même son de cloche pour Gabriel Attal, le ministre délégué aux comptes publics, pour qui « il s’agit d’un enjeu essentiel de souveraineté » dans la suite logique du rapport sur la transmission du député champenois Éric Girardin (Marne, Renaissance).
Mais la priorité donnée par le gouvernement à l’allégement de la fiscalité viticole reste limitée à ce dispositif. Les amendements proposés par la CNAOC pour une extension des régimes de faveur fiscale se rapportant aux échanges de biens ruraux sur le territoire d’une AOC ont été retoqués le jeudi 13 octobre en séance, avec l’opposition de la commission et du gouvernement. Pour le rapporteur Jean-René Cazeneuve, « cette extension à des territoires de production des AOC, qui peuvent être très étendus, risque d’avoir un coût élevé. En outre, elle fragilise juridiquement la logique du dispositif et crée une rupture d’égalité entre les contribuables dont les parcelles sont situées dans un territoire AOC et les autres. » Face à « un doute sur la constitutionnalité des exonérations proposées en raison de la rupture d’égalité qu’elles impliqueraient avec d’autres labels, comme l’indication géographique protégée (IGP). Je vous propose donc de travailler sur cette question » ajoute le ministre Gabriel Attal, appelant à évoquer le sujet dans le cadre de la future loi d’orientation et d’avenir sur le foncier agricole. Un projet de loi devant être étudié en 2023.
Concernant le projet de loi pour les finances de 2023, l’enjeu est désormais de savoir comment le gouvernement utilisera l’article 49.3 de la Constitution lui permettant de valider le texte lui convenant. Dans le cadre politique d'une majorité relative, la question poste sur le devenir des amendements, qu'ils soient adoptés (par exemple les avancées sur l'épargne de précaution) comme refusés (par exemple la prolongation du crédit d'impôts HVE, Haute Valeur Environnementale). Comme l’indique le député ligérien Nicolas Sansu (Cher, Parti Communiste Français) : « il serait dommageable que la représentation nationale ne soit pas respectée quand vous appliquerez cette procédure – puisque c’est désormais une affaire de "quand" plutôt que de "si" » et demander : « intégrerez-vous dans la version du projet de budget sur laquelle vous engagerez la responsabilité du gouvernement les amendements adoptés par la représentation nationale ? »