Éric Girardin : C’est une alerte que je porte, elle est factuelle, à partir de plusieurs éléments. Il n’y a pas que les facteurs d’ordre de transmissions difficiles pour des raisons fiscales. C’est le constat. Dans les vignobles à forte valeur ajoutée, des éléments extérieurs aux activités viticoles viennent perturber les transmissions : par effet de spéculation (un riche passionné, un groupe pratiquement l’optimisation fiscale…), des transactions se font à des prix totalement décorrélés de la rentabilité réelle des exploitations. Le problème est que ce prix devient la norme. Quand les viticulteurs veulent transmettre leurs biens, ils tombent des nues. Soit ils abandonnent et ne font rien, ce qui est la pire des choses, soit ils vendent une partie de leurs vignes à un bon prix, ce qui va alimenter la spéculation…
Quand on regarde la contribution de la viticulture française dans ses territoires et à l’export, on peut considérer que c’est un modèle particulièrement performant. Il faut dégager des libéralités pour faire en sort qu’il ne périclite pas par manque de combattants ou de pertinence de ses outils fiscaux. L’enjeu est de préserver un modèle qui fonctionne de manière absolument discriminante pour l’économie française.
Je propose une série de mesures. Les premières sur la mise en place d’outils pour mieux connaitre l’ensemble des phénomènes perturbants le bon cheminement des transmissions ; avec également la création d’un guichet unique pour les transmissions articulé autour des installations. Une transmission ne se passant bien que si l’installation a bien été vécue. L’accompagnement est à revoir.
D’autres dispositifs reposent sur la transposition d’outils qui existent déjà dans [d’autres filières] à la filière viticole. Comme le dispositif des Groupements Forestiers d’Investisseurs. Je propose aussi d’adapter les règles de participation des coopératives dans des Groupements Fonciers Viticoles (pour leur permettre si besoin de les diriger), d’ouvrir les Groupements Fonciers Viticoles familiaux à des investisseurs extérieur (avec un crédit d’impôts).
Il y a un bond à faire sur le fiscal. Il y a deux outils majeurs aujourd’hui qui permettent aux entreprises et détenteurs de foncier de soulager la transmission : le bail rural à long terme, avec une exonération de ¾ des droits de mutation jusqu’à 300 000 € et 50 % après avec 18 ans d’engagement, le pacte Dutreil, éligibles pour les entreprises viticoles avec une exonération de ¾ de la valeur taxable sans plafond. On le voit, il y a une distorsion des outils fiscaux ! Dans un premier temps, j’imaginais harmoniser les dispositifs, mais après nos auditions je considère qu’il faut aller vers une exonération totale des droits de mutation dans le cadre d’un foncier sous bail rural à long terme sous contrainte d’une possession sur 25 ans. Cela va décongestionner un certain nombre de situations actuellement en suspens.
Un autre sujet d’harmonisation concerne l’Impôt sur la Fortune Immobilière, en ne distinguant plus la nature des propriétaires. Une autre mesure est l’augmentation de 100 à 150 000 € pour les donations de l’abattement de droit commun de 100 000 euros en ligne directe (et réduire les taux d’imposition pour les transmissions d’oncles/tantes à neveux/nièces qui sont actuellement fixés à 60 %). Dans le même-temps, il faut raccourcir le délai de recharge de ces plafonds d’exonération de quinze à dix ans.
La mission a duré un mois et demi, les services de l’État ont été sollicités pour étudier l’impact des propositions formulées, mais n’ont pas pu fournir de réponse dans le temps imparti.
Ce n’est pas un problème de riches. On s’est aperçu que la problématique est identique dans les vignobles où le coût du foncier n’a pas explosé, mais où ils ont quand même augmenté et dépassent la rentabilité réelle. Pour survivre, il faut de plus en plus de surfaces. Aujourd’hui, on est arrivé à un point où il faut se poser la question de l’impact fiscal sur la pérennité des modèles économiques.
Les plus ronchons peuvent considérer que l’on donne des moyens financiers à ceux qui n’en ont pas besoin, mais ils ont tort : il faut regarder ce que cela rapporte dans les territoires et dans le monde. Aujourd’hui, la filière vin contribue à hauteur de 13 milliards d’euros au commerce extérieur français. C’est aussi un pourvoyeur d’emplois dans les territoires. La filière a aussi un rôle d’attractivité en matière de tourisme.
Je pense que c’est très clair. à la lumière de ce qui est dans le programme du candidat-président [NDLR : Emmanuel Macron], il y a la volonté d’écrire une nouvelle loi d’orientation agricole, notamment sur le foncier et les droits de succession. Je ne sais pas si toutes mes recommandations seront suivies, mais je les défendrai si je suis réélu. C’est un dossier majeur sous l’angle du développement économique.
* : Sur « les mesures à prendre pour inciter un viticulteur à la transmission de son exploitation à un jeune, en particulier dans les terroirs à très forte valeur ajoutée et valeur du foncier élevée et permettre ainsi le renouvellement des générations » demande le courrier de Matignon, demandant au rapporteur de se focalise sur les vignes d’Alsace, de Bordeaux, de Bourgogne, de Champagne et de Cognac.
** : Dans un communiqué publié ce 5 avril, la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC) confirme que les « transmissions familiales sont de plus en plus difficiles surtout lorsqu’elles n’ont pas pu être anticipées » et qu’il est « urgent de préserver le caractère familial des exploitations vitivinicoles françaises ». Pour Jérôme Bauer, le président de la CNAOC « il est temps de passer à l’action » lors du prochain quinquennat.