« Je vends le vin le plus cher du monde, je propose un bon prix au vendeur : c’est normal » se défend Loïc Pasquet, le vigneron à l'origine de Liber Pater dans le vignoble bordelais (30 000 euros la bouteille du millésime 2015). Ayant proposé 50 000 € pour le rachat de 95 ares de terres à planter avoisinant ses parcelles, le vigneron iconoclaste vient de recevoir un avis de préemption par révision de prix de la Société d'Aménagement Foncier et d'Établissement Rural (SAFER). Intervenant selon l’article L 143-2 du Code Rural, la SAFER indique intervenir pour « empêcher la spéculation foncière qui se traduit par une hausse excessive des prix » en proposant un prix de marché de 7 591 €, « avec l’accord exprès des commissaires du gouvernement ».
« À 50 000 €/ha, je ne participe pas à la hausse du foncier… » soupire Loïc Pasquet, qui s’émeut qu’« en février dernier, un dossier m’avait déjà été refusé, car mon siège social n’était pas sur la propriété ». Directeur adjoint à la SAFER de Nouvelle-Aquitaine, Hervé Olivier explique que « le prix de 50 000 € est au-delà de la référence la plus élevée sur la zone. Notre intervention ne vise pas à empêcher monsieur Pasquet de se développer, mais à maintenir le prix des terres plantables à ce qu’elles sont, en dessous de 10 000 €/ha. » Pour l’expert foncier, « peut-être que monsieur Pasquet a la capacité financière pour rentabiliser son investissement au vu de la valorisation de ses vins, mais nous sommes des gendarmes pour maintenir des prix raisonnables ».
Terres adaptées au changement climatique
« Pourquoi accepter l'inflation sur certains secteurs et pas sur d’autres ? » rétorque Loïc Pasquet, estimant que « la SAFER accepte des transactions à Saint-Émilion de plusieurs dizaines de millions d’euros*. En quoi les terres de la rive droite devraient-elles valoir plus que celles des Graves, qui seront plus adaptées demain au changement climatique ? Pourquoi ne pas acheter à prix raisonnable ? »
« Le raisonnement est le même pour toutes les AOC, ce n’est pas la SAFER qui décide, c’est validé par les services de l’État » répond Hervé Olivier, qui souligne que « le prix est homogène à Landiras. Celui proposé est cinq fois supérieur aux références les plus chères. » Désormais, le vendeur a trois possibilités : ne plus vendre (et repartir à zéro), accepter le prix révisé de la SAFER (qui lance un appel à candidature) ou contester cette préemption devant la justice (au tribunal judiciaire).
Prêt à lancer des recours, Loïc Pasquet annonce avoir « demandé à mon avocat de de faire le nécessaire sur les deux dossiers » qui lui ont été refusés par la SAFER. Les préemptions en révision de prix sont relativement rares pour la SAFER. Sur 60 000 notifications de vente par an, 300 préemptions sont effectuées, dont moins d’une centaine pour révision de prix. Les contentieux avoisinent les cinq dossiers par an.
* : D’après les dernières statistiques de la fédération nationale des SAFER, le prix moyen d’un hectare de Saint-Émilion atteint 300 000 euros en 2020 (+3 % par rapport à 2019, +50 % par rapport à 2013). Les hausses sont plus importantes en Saint-Julien (1,6 million €/ha, +23 %), Pessac-Léognan (600 000 €/ha, +20 %) et Pauillac (2,8 millions €/ha, +22 %). Pour les Graves blanc et rouge, les prix sont stables (34 000 €/ha).