Faisant cavaliers seuls, il y a deux absents de marque sur la ligne de départ du prochain classement décennal des vins de Saint-Émilion. Grands crus classés A historiques, les châteaux Ausone (7 hectares, famille Vauthier) et Cheval Blanc (37 ha, groupe LVMH) font défection pour l’édition 2022 annonce Terre de Vins ce 9 juillet. Ce n’est pas un choc sur la place de Bordeaux, où des rumeurs lancinantes faisaient guetter sur les étiquettes la mise en avant des mentions « premier grand cru classé A » pour juger de l’attachement des propriétés à un classement particulièrement attaqué médiatiquement et judiciairement.
L’impact commercial de ce retrait s’annonce nul pour les deux propriétés, affichant un niveau de réputation et de qualité n’ayant pas besoin de ce sigle, un peu comme Petrus n’a pas besoin de la mention château pour asseoir son hégémonie sur les autres crus bordelais. Symboliquement fort, ce retrait est un nouveau caillou dans la chaussure du classement des vins de Saint-Émilion, dont les candidatures pour l’édition 2022 étaient ouvertes du 8 mars au 30 juin dernier (avec des prix en nettes hausses avec la multiplication des procédures judiciaires). Avec ces deux départs retentissants, d’aucuns voit l’histoire du classement des crus bourgeois se répéter (les procédures ayant amené au départ des châteaux les mieux cotés), et plaider pour des classements figés (comme celui de 1855, ayant le mérite d’être une référence immuable).
Enterrement de "première classe"
Gérée par l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) pour le Conseil des Vins de Saint-Émilion (Organisme de Défense et de Gestion), la procédure de classement décennal est mise à mal par de nombreuses attaques judiciaires. Tant administratives que civiles. Avocat de trois propriétés non-classées en 2012, maître Éric Morain estime que « cette double décision est courageuse et doit en appeler d'autres. Elle est l'aboutissement logique d'un système à bout de souffle qui, à force de se croire immuable, tout puissant et incontournable, est devenu vide de sens et le siège de tous les conflits d'intérêt comme le démontrera le procès de septembre. Au-delà de cet "enterrement de première classe", j'espère sincèrement que c'est un nouveau monde qui en surgira. Il serait temps. »
Avant que la commission dédiée de l’INAO ne commence ses travaux sur le dossier brûlant du prochain classement, le tribunal judiciaire de Bordeaux doit se pencher sur les accusations de prise illégale d’intérêt dans le cadre du précédent classement. Des perspectives qui donnent des ailes aux châteaux souhaitant s’émanciper de cette mêlée.