Éric Giraud-Héraud, économiste à l’Inra de Bordeaux, a cherché à savoir si les vins produits en 2050, ayant donc subi un réchauffement climatique, continueraient de plaire aux consommateurs. Il a donc fait déguster à un panel de consommateurs avertis* – 184 en tout – trois vins typiques d’une même appellation située dans la région de Bordeaux. Le premier vin (A) avait des notes de fruits frais et titrait à 13,9 % vol. Le second (B) présentait les caractéristiques typiques du réchauffement climatique : des notes de fruits cuits, confiturés, avec une teneur en alcool élevée, soit 15,2 % vol. Le troisième (C), dit « intermédiaire », affichait 14,4 % vol.
Pour chaque vin, les personnes interrogées devaient donner une note hédonique, mais aussi leur « consentement à le payer », soit le prix maximum d’achat consenti pour chacun d’eux, afin de recueillir une appréciation des vins encore plus « révélatrice ». Chose surprenante, c’est le vin B qui a le plus remporté l’adhésion, avec 75 % d’intentions d’achat. Le vin A a atteint 60 % et l’intermédiaire, 70 %. « Le vin représentatif du réchauffement climatique est donc plébiscité par les consommateurs », commente le scientifique.
Les consommateurs saturent
Mais un autre test visant à recueillir une seconde « intention » d’achat vient contrebalancer ce résultat. Dans ce deuxième exercice, les personnes interrogées devaient déguster les mêmes trois vins, toujours à l’aveugle, mais cette fois chez eux, sur deux jours, en quatre « prises », avant chaque repas. Cette fois, les préférences s’inversent. Les intentions d’achats du vin B baissent de 20 %, passant derrière les deux autres. Celles pour le vin A, plus léger en alcool, plus fruité, se maintiennent à un niveau stable. « L’inversion des préférences n’est pas liée à une meilleure appréciation du vin “A” mais à un désintérêt pour le vin “B”, explique Éric Giraud-Héraud. Il y a un effet de saturation : les consommateurs l’ont lâché. »
Pour confirmer cette nette évolution dans les préférences des consommateurs, un questionnaire complémentaire sur les caractéristiques perçues du vin B leur a été demandé. Il ressort que ceux-ci perçoivent très bien les notes de fruits cuits et le degré d’alcool élevé, confirmant leur capacité de « discrimination » : « Les consommateurs sont perspicaces, ils ont des goûts et sont tout à fait capables de les exprimer », ajoute le chercheur.
(*Tous étaient des consommateurs réguliers de vins rouges de la région, à des prix supérieurs à 15 €. Le panel était constitué de 87 femmes et 97 hommes.)